C’est enjouée et pleine d’entrain que Marie-Lise Pilote nous a accordé une entrevue pour parler des femmes œuvrant dans des métiers non traditionnels, de son parcours personnel ainsi que de sa marque de vêtements et chaussures de travail Pilote & Filles, créée pour répondre aux besoins des femmes, notamment dans l’industrie de la construction.
L’humoriste nous raconte que lorsqu’elle a commencé à fouler les planches, elle était la seule femme de sa génération. À part elle, la « fille du Groupe sanguin », le milieu était entièrement masculin. La prédominance des hommes ne l’a pas arrêtée et elle s’est taillé une place de choix dans le monde de l’humour québécois. Cette pionnière en était déjà à son troisième spectacle solo lorsque d’autres femmes ont fait leur apparition en humour.
En marge de son métier non traditionnel sur scène, Marie-Lise a investi dans l’immobilier et a rénové l’appartement qu’elle occupait avec son conjoint de l’époque. Évidemment, quand on est connue, tout finit par se savoir, et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’on lui a demandé d’animer l’émission Ma Maison Rona. Il s’agissait de la première téléréalité en construction au Québec, qui consistait en une compétition entre deux familles, au cours de laquelle chacune devait rénover une maison. C’est avec grand plaisir qu’elle a accepté d’être à la barre de l’émission.
C’est en se retrouvant sur le chantier de Ma Maison Rona qu’elle a constaté qu’il n’existait aucun vêtement de travail ni chaussure de sécurité pour les femmes. Heureusement, les frères Bernadet sont arrivés à la rescousse en lui proposant des bottes à cap d’acier roses. La chimie s’est alors développée entre eux, et après avoir refusé de devenir la porte-parole de leurs bottes de construction, Marie-Lise leur a lancé qu’elle serait toutefois emballée de fonder avec eux une collection complète pour femmes seulement. « Si moi j’en ai besoin, ça veut dire que plein de femmes en ont besoin ».
C’est comme ça qu’il y a douze ans, l’entreprise Pilote & Filles est née. « Nous ne partions pas de zéro puisque les frères Bernadet étaient déjà présents dans cet univers avec leur collection pour homme NAT’S. C’est donc en se basant sur ce qu’ils faisaient pour les hommes et mes besoins de bricoleuse à moi que nous avons jeté les premières bases de P & F ». Avec la visibilité que Marie-Lise a apportée à la collection en la portant à la télévision devant plus d’un million de téléspectateurs, Pilote & Filles est rapidement devenue la marque chouchou des Québécoises actives.
L’entreprise offre aujourd’hui une très grande variété de produits de qualité pour répondre aux besoins des femmes œuvrant dans des métiers non traditionnels. Depuis plus de douze ans maintenant, on peut voir les bottes colorées qui se distinguent vivement des équipements fournis par les compétiteurs. La clientèle de Pilote & Filles est composée autant de femmes qui bricolent et jardinent chez elles, que de mordues de nature, de chasse et pêche, de femmes dans la construction, dans les entrepôts, ou qui pratiquent d’autres métiers nécessitant des vêtements et chaussures de sécurité approuvées CSA ou autres certifications. Certaines femmes ont envie de s’afficher en rose, alors que d’autres préfèrent se fondre dans la majorité masculine en arborant des couleurs moins marquées. Pilote & Filles propose une grande sélection de modèles légers et colorés.
« Je crois profondément qu’en se sentant belles et bien dans nos vêtements, nous avons plus d’assurance et croyez-moi, de l’assurance, on en a besoin quand on évolue en minorité dans son milieu de travail. En créant cette collection, nous avons dit aux femmes que nous avions assez confiance en elles pour fabriquer des vêtements uniquement pour elles. C’est comme si nous leur disions haut et fort : Allez les filles, foncez, prenez votre place! Nous, on vous protège, on vous crée votre costume de super héroïne. Sortez votre marteau et défoncez les plafonds de verre, pas de danger de vous blesser, vous avez des P & F aux pieds! »
Aujourd’hui, Pilote & Filles est le plus gros fournisseur d’équipement de sécurité pour les femmes en Amérique. Les produits sont distribués chez plus de 400 détaillants au Canada et en Europe. L’entreprise a signé un contrat avec Air Canada pour des pantalons, et a même conçu une botte selon les normes d’Hydro-Québec. Un processus est également en cours pour chausser les femmes qui font carrière au sein des Forces armées canadiennes.
Marie-Lise a marrainé plusieurs associations, accompagnant ainsi les femmes à obtenir un diplôme dans un secteur non traditionnel. Elle a été porte-parole de « Chapeau, les filles! ». Elle est aussi marraine du projet « Femmes et construction » dans la région de Québec et Chaudière-Appalaches et pour lequel, depuis deux ans, une bourse Pilote & Filles de 2 000 $ ainsi qu’un équipement de protection complet est remis à une étudiante d’un métier non traditionnel.
Marie-Lise pense que l’intégration des femmes dans ces métiers passe aussi par le changement de mentalité des hommes. Ces derniers doivent considérer leurs collègues, peu importe le sexe. Elle ajoute que les métiers à prédominance masculine ont souvent des conditions de travail intéressantes, et que les femmes devraient s’y intéresser davantage et prendre leur place. Pour rester à long terme, elles doivent être capables de mettre leur point sur la table lorsque c’est nécessaire.
L’entrepreneure aguerrie pense aussi que toutes les organisations doivent travailler de concert pour obtenir de meilleurs résultats. Elle mentionne : « Nous avons beaucoup à apprendre des hommes, notamment savoir dire les vraies choses sans détour, la confiance en soi, la solidarité aussi. Mais nous avons également beaucoup à apporter à l’industrie, notre écoute, notre souci du détail, et côté humilité, ce ne serait pas mauvais que les femmes déteignent sur les hommes… »
Marie-Lise Pilote est une pionnière dans son milieu et une femme inspirante. Elle rêve de voir un jour, sur les chantiers, autant de couleurs flamboyantes que de beige et de brun. Cela voudra dire que les femmes auront enfin accès à des métiers aussi payants que les hommes.
En terminant l’entretien, Marie-Lise m’a confié : « Je rêve d’abolir les mots » métier non traditionnel, autant masculin que féminin » . En disparaissant, ils seraient remplacés par le mot « égalité » , car si autant d’hommes que de femmes devenaient infirmiers ou enseignants, pensez-vous vraiment que les salaires resteraient aussi bas? Il n’y a que des avantages à la mixité, il est temps qu’on le réalise… »
