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Mieux construire en bois massif à l’aide de la modélisation des données du bâtiment (BIM)

Chloé Paskoff
Écrit par Chloé Paskoff

Depuis une dizaine d’années, les nouvelles constructions en bois se multiplient au Québec, notamment celles en bois massif. Elles bénéficient des performances de cette nouvelle technologie de fabrication (rigidité, légèreté), en plus des performances liées à l’utilisation du bois comme matériau (durabilité, isolation et esthétique).

Photo principale : Martine Lapointe

Le bois massif, un matériau de construction prometteur

Si le bois a été le premier matériau de construction, le choisir aujourd’hui pour construire des édifices permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à la construction. L’Agence internationale de l’énergie indique que chaque année, l’industrie mondiale de la construction émet à elle seule 39 % des GES.1 Les deux tiers proviennent des opérations de construction et le tiers restant vient des matériaux utilisés (béton, acier et aluminium). À l’inverse, le bois est un matériau à faible empreinte carbone : il s’agit d’une ressource naturelle abondante, renouvelable et captant le carbone.2 Il nécessite peu de transformation de son état brut, soit à l’état de matériau de construction, donc peu d’énergie est nécessaire à sa transformation. Opter pour ce matériau permet donc de se rapprocher de l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050.

Les structures en bois massif sont constituées de produits en bois multicouches préfabriqués. On distingue le bois lamellé-croisé, du bois lamellé-collé.2Fabriqué à partir d’essences épicéa-pin-sapin3, le bois lamellé-croisé est un très bon isolant à la fois acoustique et thermique. C’est un matériau dont l’esthétique favorise le bien-être des résident.e.s.

Photo : CIRCERB

Les structures en bois massif ─ panneaux de bois lamellé-croisé, colonnes de lamellé-collé, etc. ─ sont fabriquées hors site à l’usine, puis assemblées en chantier. Il faut tenir compte, dès la conception, des capacités manufacturières de l’usine de transformation secondaire du bois : les installations, les infrastructures de production et la capacité d’entreposage limitent les dimensions des pièces et le volume de production. Aussi, le transport de l’usine au chantier contraint les dimensions des éléments préfabriqués. Alors qu’un bâtiment est généralement un prototype orienté client, les éléments en bois massif préfabriqués à l’usine sont orientés produit (production en série, éléments standardisés et en grandes quantités).

Le BIM, un allié pour les projets en bois massif

La numérisation et les outils numériques offrent une nouvelle approche de travail pour les projets de construction hors site4. En effet, la modélisation des données du bâtiment, Building Information Modeling (BIM), est l’approche numérique aux projets de construction : elle permet de centraliser les données, de planifier les travaux, de coordonner les différents corps de métiers, et ce, tout au long du projet autour d’un même modèle numérique.

Dans le cas des constructions en bois massif, le BIM soutient toutes les étapes du projet. Il permet de concevoir, vérifier la conception, anticiper la construction, gérer la logistique chantier et simuler les travaux en particulier. L’étape de préfabrication rend l’usage du BIM particulièrement pertinent pour le bois massif : partage des plans de découpe des panneaux de bois lamellé-croisé, coordination usine-chantier et optimisation de la livraison et de l’entreposage. En effet, les plateformes digitales permettent le partage et l’envoi des plans des panneaux de bois lamellé-croisé, issu de la maquette 3D, directement aux ateliers de découpe de bois lamellé-croisé à l’usine. Le BIM 4D permet d’estimer et de programmer le temps de construction d’un ouvrage. Il est facile de simuler la logistique sur chantier (livraison, entreposage, assemblage), puis de l’optimiser.

Photo : CIRCERB

Construire en bois massif nécessite donc de concevoir un bâti avec des éléments préfabriqués (standardisés, en quantités, de dimensions adaptées pour le manufacturier et le transport). Il est alors d’autant plus important de concevoir sans erreur, car aucune modification chantier n’est possible. En phase finale de conception, la maquette numérique doit être vérifiée : il faut étudier sa conformité à diverses exigences. La numérisation des outils et l’usage du BIM permettent d’accélérer cette étape qui est primordiale.

Les enjeux de la vérification de modèle basée sur le BIM pour les bâtiments en bois massif

Parmi les différentes utilisations du BIM ─ conception assistée par ordinateur des bâtiments, visualisation 3D des modèles, détection des collisions, gestion et coordination BIM, planification temporelle avec le BIM 4D, estimation des coûts avec le BIM 5D, etc. ─ la vérification des modèles est l’une des utilisations les plus pertinentes.

La vérification de modèles basée sur le BIM (BIM-based model checking) est une technique prometteuse, mais encore très peu utilisée. Notre travail de recherche a pour objectif d’étudier le potentiel du BIM pour l’étape de la vérification des modèles numériques des constructions en bois massif. Dans un premier temps, une méthode générale, soutenue par des outils et résumant étape par étape le processus d’étude de conformité des modèles numériques basés sur le BIM a été proposé. Une étude comparative des performances de quatre logiciels de vérification BIM a aussi été menée. Elle a permis de connaître précisément leurs forces et leurs faiblesses. Puis, une étude de cas sur une maquette numérique en bois massif a permis d’appliquer les outils BIM et de conclure quant au potentiel de la vérification BIM.

Les résultats suggèrent que les quatre logiciels de vérification BIM étudiés se complètent à tous points de vue. Ils permettent tous de procéder à une vérification automatisée des règles, mais de manière différente. Si l’un est dédié à la détection de conflit et permet l’inspection intérieure des maquettes, les autres permettent des vérifications plus spécifiques. Deux logiciels fonctionnant avec des scripts de programmation visuelle offrent une large possibilité de vérification des règles grâce à la construction sur mesure des règles, ce qui permet de vérifier toute exigence géométrique simple très facilement. D’autres logiciels ont leur propre jeu de règles intégré, ce qui permet de mener des vérifications précises et spécifiques, mais non adaptables à tous les besoins de vérifications.

Soutenue par des outils, la méthode proposée comprend cinq étapes :

1. spécifier le besoin de vérification;

2. s’assurer d’avoir un environnement numérique BIM adéquat;

3. déchiffrer le contenu de l’exigence à vérifier;

4. effectuer le calcul pour étudier la conformité ou la non-conformité du modèle;

5. analyser les résultats de conformité ou non-conformité.

Étude de conformité d’une maquette numérique en bois massif

Le contexte

Une étude de cas mettant en œuvre trois études de conformité de maquettes numériques en bois massif a été réalisée. Les critères d’évaluation de conformité ont été déterminés à la suite d’entrevues avec des industriels du milieu notamment. Il s’agit d’exigences relatives au bois massif spécifiquement, ayant des répercussions sur la conception de l’ouvrage, donc du modèle 3D.

La littérature indique que les bâtiments en bois massif doivent être conformes aux exigences suivantes :

  • la largeur des panneaux de bois lamellé-croisé ne doit pas dépasser 2 550 mm5;
  • l’épaisseur des panneaux de bois lamellé-croisé ne doit pas dépasser 508 mm7.

L’aspect préfabrication impose les exigences suivantes :

  • chaque pièce préfabriquée doit être présente sur un modèle au moins 20 fois (par exemple, production de masse à l’usine);
  • les dimensions des pièces doivent être adaptées à la capacité manufacturière de l’usine et  aussi permettre le transport.

Deux rencontres avec des industriels ayant travaillé sur le projet bois massif Arbora ─ un complexe résidentiel en bois lamellé-croisé construit récemment à Montréal ─  nous ont permis de mieux comprendre les enjeux relatifs à la conception, puis à la construction en bois massif. Réussir à percer les ouvertures pour conduits MEP aux bons emplacements a été une problématique majeure au moment de l’assemblage des panneaux de bois lamellé-croisé.

De nombreux allers-retours entre les deux entreprises ont été nécessaires. Il aurait été utile, un, de réussir à éditer les plans de découpe des panneaux pour CNC avec les ouvertures requises et deux, de pouvoir facilement vérifier que leur emplacement est correct. De plus, une exigence structurelle du manufacturier de bois lamellé-croisé est de s’assurer que la portée des dalles de bois lamellé-croisé ne dépasse pas 18 fois leur épaisseur.

Les trois vérifications effectuées

Les trois études de conformité menées étaient de nature, de provenance et de complexité différentes. La première vérification consistait à contrôler que la portée des dalles de bois lamellé-croisé n’excède pas 18 fois leur épaisseur. La deuxième consistait à vérifier que les percements pour conduits MEP étaient correctement positionnés. La troisième consistait à vérifier qu’un même panneau de bois lamellé-croisé apparaisse un minimum de 20 fois dans le modèle.

Nous nous attendions à pouvoir facilement effectuer ces calculs de vérification avec les logiciels BIM, mais cela n’a pas toujours été le cas. Pour chacune des vérifications, nous avons été confrontés à des difficultés : information manquante en propriété de l’élément, grandeur non interprétable comme un nombre pour effectuer le calcul ou encore non-modélisation d’éléments intervenant dans la vérification. Toutes ces difficultés sont liées au modèle numérique, plus précisément aux éléments (non modélisés), aux propriétés des éléments (mal-renseignées, non renseignées) et à leur type dans le modèle Revit qui n’est pas interprétable par le code python pour effectuer des calculs. Malgré ces obstacles à la vérification, nous avons démontré que les logiciels dédiés à la vérification BIM permettent d’étudier facilement la conformité des modèles selon différents types d’exigences.

Conclusion

Photo Martine Lapointe

Pour conclure, les outils BIM s’avèrent très pertinents pour les projets de construction en bois massif, notamment à l’étape de l’étude de conformité du modèle. Cependant, les obstacles rencontrés montrent que pour être efficace, le BIM doit être réalisé sur des modèles numériques avec une très haute qualité de l’information, ce qui n’est pas encore assez souvent le cas.

Ainsi, pour les projets en bois massif qui se multiplient au Québec, il faut prendre le temps de créer un modèle numérique précis de sorte à pouvoir bénéficier des avantages des outils BIM. Toutes les informations de l’ouvrage futur doivent être modélisées, autrement l’étude de conformité risque ne pas aboutir.

En collaboration avec la Chaire industrielle de recherche sur la construction écoresponsable en bois (CIRCERB).

Références

1IAE. (2018). 2018 Global Status Report. Global Alliance for Buildings and Construction.

2Churkina, G., Organschi, A., Reyer, C. P. O., Ruff, A., Vinke, K., Liu, Z., … Schellnhuber, H. J. (2020). Buildings as a global carbon sink. Nature Sustainability, 3(4), 269‑276. https://doi.org/10.1038/s41893-019-0462-4

3APA – The Engineered Wood Association. (2021). Nordic X-Lam Industrial CLT Matting.

4McKinsey&Compagny. (2019). Modular construction: From projects to products. McKinsey&Company. Repéré à https://www.mckinsey.com/business-functions/operations/our-insights/modular-construction-from-projects-to-products

5CSA O86:19. (s.d.). CSA Group. Repéré à https://www.csagroup.org/store/product/CSA%20O86:19/

6Karacabeyli, E., & Gagnon, S. (2019). Manuel canadien sur le CLT Volume 1. FPInnovations.

 7American National Standards Institute. (2018). ANSI APA PRG320.

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Chloé Paskoff

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