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Les stratégies d’implantation du BIM chez les PME de la construction préfabriquée

Basma Ben Mahmoud
Écrit par Basma Ben Mahmoud

Pour faire face aux enjeux du secteur, la construction 4.0 vient mettre en place de nouveaux principes basés sur la numérisation de l’environnement bâti et l’intégration des processus et des acteurs de ce domaine.

C’est dans ce contexte qu’intervient le BIM (Building Information Modeling) en tant qu’approche répondant bien aux principes de cette révolution industrielle. À cet effet, Souha Tahrani, responsable de l’implantation des pratiques BIM chez Ædifica, présente le BIM comme suit : « Le BIM n’est pas qu’un simple logiciel à mettre en place, c’est une approche qui implique un changement dans notre façon de faire et notre modèle d’affaires » (Le groupe BIM du Québec 2019).

Cette approche favorise l’intégration des processus et des acteurs impliqués dans un projet de construction et facilite leur communication et le partage d’informations en temps réel. Puisqu’il permet de mieux gérer et accélérer les différentes étapes d’un projet de construction, ce processus collaboratif a le potentiel d’augmenter la productivité du secteur qui accuse un retard en comparaison à la majorité des secteurs industriels. Mais qu’en est-il du potentiel du BIM pour le secteur de la construction préfabriquée québécoise? Et quelles sont les stratégies qui facilitent son implantation dans les petites et moyennes entreprises (PME) de ce secteur?

Le BIM s’avère une solution intéressante pour les PME de la préfabrication pour assurer leur compétitivité et augmenter leur productivité. Toutefois, ces entreprises peuvent hésiter à faire cette transition vu le risque et l’impact que peut représenter cette décision sur leurs processus actuels et leurs ressources humaines et financières.

Afin de documenter le potentiel du BIM pour le secteur de la préfabrication, un projet de maîtrise en génie mécanique a été réalisé par Basma Ben Mahmoud sous la direction de Nadia Lehoux et la codirection de Pierre Blanchet au sein de la Chaire industrielle de recherche sur la construction écoresponsable de bois (CIRCERB) de l’Université Laval, sous l’Initiative sur la construction industrialisée (ICI). Cette étude avait pour objectif de démystifier le BIM, de relever son intérêt dans le secteur de la construction, particulièrement en préfabrication, et de proposer un cadre d’implantation incluant une piste de stratégies et de bonnes pratiques pour faciliter son implantation dans les PME québécoises de préfabrication.

Méthodes

À partir de la littérature, une première étape du projet a consisté à démystifier le BIM, documenter l’état de son adoption dans la construction ainsi que ses avantages, ses limites et les étapes de son implantation dans les PME. Un total de neuf entrevues semi-dirigées auprès d’experts BIM ont par la suite été réalisées dans le but d’analyser l’expérience québécoise avec cette approche et tirer profit de l’expertise de ces répondants. Des analyses qualitatives ont été menées afin de brosser un portrait de l’implantation du BIM au Québec en matière de barrières présentes et de bonnes pratiques. Enfin, un sondage auprès de manufacturiers du secteur de la préfabrication québécoise a été réalisé afin d’analyser l’état actuel de cette industrie, de relever les processus d’affaires actuellement suivis, d’identifier les problèmes souvent rencontrés et de cibler leurs intérêts envers le BIM.

Résultats

Étant un concept assez large, la première phase de l’étude a été consacrée à la démystification du BIM. Une définition du BIM et de son lexique, ses dimensions, ses applications, les outils actuellement existants dans le marché, les standards créés et ceux en cours d’élaboration, ont alors pu être mis en lumière. Un des principaux concepts présentés concerne les dimensions BIM qui reflètent les différentes applications de cette approche. En effet, BIM 3D réfère à la modélisation 3D, BIM 4D concerne la planification de l’échéancier et le séquençage des travaux, BIM 5D permet d’estimer le coût total du projet, BIM 6D permet une analyse de la durabilité et BIM 7D ajoute la gestion des installations.

Cette partie a notamment permis de souligner les applications BIM dédiées à la préfabrication, notamment le BIM 4D et le BIM 5D et les outils appropriés selon l’usage. Revit est un exemple de logiciel utilisé pour la modélisation 3D des structures peu complexes, alors que Navisworks est plutôt employé pour la détection des conflits entre les modèles des différentes disciplines (Figure 1) et le suivi entre les parties prenantes. D’autres logiciels sont présentés sur le marché, mais le choix de ces outils dépendra des besoins de chaque entreprise et des compétences de ses ressources humaines.

FIGURE 1


Figure 1. La maquette numérique du projet et la détection des conflits (CanBIM 2015)

Comme déjà mentionné, ce projet a été l’occasion de réaliser un sondage en ligne sur l’adoption du BIM dans le secteur de la préfabrication québécoise auprès de manufacturiers québécois.  En plus de documenter l’implantation du BIM, ses barrières et les possibilités pour le secteur, ce sondage a permis d’avoir un aperçu de l’état de la préfabrication au Québec et de décrire le processus de réalisation d’un projet multilogement. Alors que 30 entreprises québécoises ont été sollicitées, 15 d’entre elles ont répondu au sondage et neuf l’ont complété. Une première analyse a permis de relever les enjeux de ce secteur, les menaces qui y sont présentes et les solutions que les professionnels de ce domaine espèrent implanter. Ces aspects sont bien introduits dans la matrice FFOM (Force, Faiblesse, Opportunité, Menace), présentée à la Figure 2, selon leur occurrence dans les réponses collectées.

FIGURE 2


Figure 2. Matrice FFOM de l’industrie québécoise de préfabrication du bois

Chez ces répondants, le sondage a révélé que seulement 33 % ont commencé à implanter le BIM dans leur processus d’affaires. Parmi ceux qui ne l’ont pas encore implanté, 67 % prévoient le faire pour maintenir leur développement alors que 33 % ne sont pas intéressés. Le sondage a aussi révélé les principaux freins à l’implantation du BIM qui peuvent expliquer la réticence chez quelques répondants. Ces freins sont principalement des barrières de nature technologique et humaine. Les barrières financières, organisationnelles et légales constituent également des freins à l’implantation du BIM, mais dans une moindre mesure.

FIGURE 3


Figure 3. Les statistiques liées à l’implantation du BIM dans la construction préfabriquée au Québec

L’analyse qualitative des données collectées lors des entrevues réalisées auprès des experts a permis d’identifier les barrières qui retardent cette phase dans le contexte québécois et les étapes à suivre pour réussir le processus d’implantation ainsi que les recommandations menant à la bonne exploitation du potentiel du BIM selon une autre vision qui est celle des experts BIM. Afin d’avoir le portrait global de ce qui est fait au Québec et ailleurs dans le monde dans ce domaine, une comparaison entre les résultats de la littérature et ceux des entrevues a été réalisée. Cette comparaison a permis de dégager plusieurs conclusions.

La première conclusion concerne la présence de deux types des barrières du BIM : les barrières internes liées à la situation de la firme (ses ressources humaines, ses moyens financiers, ses outils, les standards utilisés, son degré de maturité, etc.) et les barrières externes liées au niveau d’implication du gouvernement et du client. Selon ces deux volets théoriques et pratiques, les barrières les plus communes étaient les barrières financières, technologiques et légales. Néanmoins, une différence a été notée en ce qui concerne la barrière humaine, qui a eu différentes appellations dans la littérature (barrière culturelle, environnementale, humaine). Cette dernière était la plus critique vu le rôle que joue l’être humain dans ce processus. Le sondage a toutefois relevé la barrière technologique comme cruciale étant donné la complexité à identifier l’outil le plus approprié aux besoins et l’interaction entre ces logiciels et les équipements de production qui n’est pas encore totalement au point.

La seconde conclusion touche au processus d’implantation du BIM dans ces firmes. Alors que plusieurs grandes entreprises québécoises ont eu recours à des services de consultation pour bien mener cette phase, ce n’est pas toujours possible dans le cas de PME, ce qui peut donc représenter un défi supplémentaire. À cet égard, un cadre d’implantation à partir des informations relevées pour faciliter l’implantation du BIM chez les PME a été proposé. Ce cadre global indique les différents niveaux d’implantation du BIM à prendre en compte ainsi que les étapes à suivre. Deux niveaux d’implantation du BIM sont destinés aux PME. Le premier niveau est lié à l’implantation du BIM au sein de l’entreprise pour la première fois. Le cadre lié à ce niveau est présenté à la Figure 4. Le deuxième niveau concerne l’application du BIM dans les projets de préfabrication réalisés par cette firme. Le cadre d’implantation associé à ce niveau et les différentes étapes à suivre sont détaillés dans la Figure 5.

FIGURE 4


Figure 4. Le cadre d’implantation du BIM au sein de l’entreprise (1er niveau)

Ce cadre d’implantation lié au premier niveau vise à guider et à soutenir les entreprises dans cette transition pour qu’elles soient capables de bien mener et gérer le déploiement du BIM sans recours à des services externes. La phase fondamentale à la réussite de ce processus d’implantation réside dans l’analyse de l’état actuel de l’entreprise en matière de processus d’affaires, de ressources humaines, de moyens financiers, de logiciels, etc. Cette étape permet de cartographier cette situation et de détecter les éventuelles améliorations dans le but de répondre aux besoins spécifiques de la firme. Ensuite, les outils les plus compatibles avec les objectifs de cette firme et les compétences de ses employés peuvent être utilisés. Concernant le comité BIM qui est le moteur de ce processus, une proposition a été faite au profit des PME qui consiste à former ou à recruter deux personnes bien formées en BIM et qui maîtrisent ces outils. Ces dernières seront chargées de transférer les connaissances et les compétences au sein du groupe interne de l’entreprise. Ils auront un rôle d’encadrement et de leadership. Cette solution réduit les risques financiers liés à la formation et au recrutement d’un grand nombre d’experts BIM. Le deuxième cadre d’implantation jumelant expérience terrain et bonnes pratiques de la littérature vise à guider sur l’utilisation du BIM dans le secteur du préfabriqué suivant la nature du projet à réaliser. Il indique à chaque phase d’un projet de préfabrication les acteurs impliqués et les actions à prendre. Il est présenté en détail à la Figure 5. Les phases en rouge sont les phases jugées les plus critiques selon les répondants et qui présentent plus de risques durant la réalisation du projet.

FIGURE 5


Figure 5. Cadre d’implantation du BIM dans un projet de préfabrication (2e niveau)

La dernière conclusion porte sur les meilleures pratiques qui sont les nouvelles habitudes et activités à adopter par le personnel de la firme dans le but d’avancer dans le processus BIM et d’atteindre ses différents bénéfices. Les analyses effectuées ont permis de préciser une liste de bonnes pratiques dédiées à la fois aux PME de la construction et de la préfabrication. On suggère de commencer par s’assurer de la bonne compréhension des nouveaux concepts, des nouvelles responsabilités, des nouveaux acteurs, des nouveaux standards et des nouveaux outils à utiliser auprès de toutes les parties prenantes.

Par la suite, une nouvelle forme de contrat ou de nouvelles clauses doivent s’ajouter pour définir les nouveaux rôles, le partage d’information, la propriété intellectuelle de la maquette (les personnes ayant le droit de la modifier, celles ayant le droit juste de la consulter et les concepteurs de base qui l’ont créée). En ce qui concerne la préfabrication, on y précise qu’il est important d’adapter l’outil technique aux besoins de l’entreprise en y ajoutant la bibliothèque spécifique aux éléments préfabriqués et un programme permettant la traduction entre les logiciels et les équipements. L’encadrement et le suivi continu de la progression du personnel à l’interne sont aussi des éléments essentiels à la bonne implantation du BIM. La communication et la coordination de façon régulière et continue à travers des réunions et les rencontres de réseautage et de formation sont aussi importantes pour assurer un bon lien entre les parties prenantes du secteur.

Finalement, même si peu abordés, les indicateurs de performance basés sur plusieurs paramètres tels que le coût total du projet, le temps de réalisation et la qualité sont cruciaux dans la procédure d’évaluation de l’efficacité de l’entreprise et du profit réalisé avec la méthode BIM.

Conclusion

Ce projet de recherche a permis d’analyser le potentiel du BIM en construction préfabriquée, de relever les barrières les plus critiques à l’adoption du BIM et de développer un cadre d’implantation. L’étude a mis en relief l’importance d’analyser la situation de l’entreprise et d’évaluer ses ressources avant de faire ce virage numérique. Alors qu’encore peu de PME ont fait le saut vers l’usage du BIM dans le secteur de la préfabrication, les résultats de cette étude offrent des pistes pour faciliter son adoption.

Cinq actions clés ont notamment été dégagées pour résumer les meilleures pratiques permettant de mieux exploiter le BIM. Ces actions reposent sur cinq pratiques principales que l’on appellera les 5C : clarifier, communiquer, collaborer, créer et calculer. Clarifier consiste à clarifier la démarche BIM, ses exigences, les principaux acteurs, leurs responsabilités, les risques, les principaux objectifs à atteindre, etc. Communiquer est le fait de partager la bonne information, les compétences, l’expérience positive, les mises à jour, les corrections, etc. Collaborer concerne le partage des modèles 3D, des responsabilités et des risques afin d’obtenir des avantages et des progrès mutuels. Créer consiste à créer de nouveaux fichiers et paramètres nécessaires à l’adoption du BIM, notamment le plan d’exécution BIM (BEP), le plan de gestion BIM (BMP), la bibliothèque d’objets basée sur les produits fabriqués par ces manufacturiers, les fichiers standards, les codes pour effectuer les bonnes mises à jour en fonction des informations du modèle BIM, etc. Enfin, calculer fait référence au calcul de différents indices basés sur des indicateurs de performance pour évaluer les progrès de l’entreprise et tirer les leçons de son expérience.

Références :

CanBIM. 2015. “CanBIM Awards 2015 – Best In BIM – Nominees.” Retrieved (https://www.youtube.com/watch?v=aeXQrtxDKiQ&feature=emb_title).

Le groupe BIM du Québec. 2019. BIM Trucs et Astuces. Contech bâtiment.

Collaboration spéciale de la Chaire industrielle de recherche sur la construction écoresponsable en bois (CIRCERB) de l’Université Laval.

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Basma Ben Mahmoud

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