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Représentations sociales à l’égard de la construction en bois massif et en ossature préfabriquée

Baptiste Giorgio
Écrit par Baptiste Giorgio

Photo principale : CIRCERB

Bien que le bois soit un matériau ayant connu une forte utilisation dans les constructions multi-étagées du début du siècle, son utilisation a ensuite décliné en raison de l’entrée en vigueur du Code national du bâtiment de 1941, qui mettra fin à la construction de bois en hauteur au profit de matériaux considérés plus modernes, comme l’acier et le béton [1].

L’évolution réglementaire et les nouvelles attentes du marché, dont la prise en compte du confort de l’occupant ainsi que des impacts énergétiques et environnementaux, viennent toutefois modifier les habitudes du marché. Ces changements passent notamment par l’inclusion de nouveaux procédés de construction, dont l’utilisation du bois pour les structures compte tenu de la généralisation des bâtiments à faible empreinte carbone et la préfabrication en usine en raison des enjeux sur la ressource en main-d’œuvre.

Ainsi, grâce à l’arrivée des produits d’ingénierie en bois dans les années 1960 et leur généralisation dans les années 2000, cela a de nouveau permis l’expansion de ces marchés [1]. Aujourd’hui, nous constatons la forte prépondérance du bois dans les constructions résidentielles de 4 étages et moins (84 %), et une percée dans les constructions de 5 et 6 étages (11 %), justifiée par une ouverture réglementaire récente du Code national du bâtiment 2010, qui continue de trouver écho dans la pratique des professionnels [2]. Ainsi, plus du tiers des concepteurs interrogés estiment qu’ils utiliseront davantage la structure en bois massif (38 %) et l’ossature légère (33 %) dans la construction multifamiliale de 5 et 6 étages [2]. De plus, de récentes ouvertures réglementaires permettront certainement d’observer une croissance de l’usage du bois massif en structure dans la catégorie des bâtiments résidentiels de 7 à 12 étages [3].

Mais l’évolution rapide de ces ouvertures réglementaires et des méthodes de construction en bois sont-elles comprises et acceptées par les usagers de ces bâtiments ?

Afin de faire progresser le marché de la construction en bois au Québec, il est nécessaire au préalable, d’avoir une bonne compréhension des représentations sociales associées à la construction en bois par les différents acteurs impliqués dans un projet, dont les usagers. Actualiser nos données sur ce marché qui évolue rapidement devrait permettre de mieux comprendre les influences des représentations sociales sur la chaîne de décision et de participer à lever certaines barrières, en ciblant plus efficacement des stratégies adaptées de transfert de connaissances et de marketing en fonction de l’interlocuteur et de ses problématiques.

C’est dans ce but qu’à titre d’étudiant au cœur de deux programmations de recherche majeures sur la construction en bois, la Chaire industrielle de recherche sur la construction écoresponsable en bois (CIRCERB) et l’Initiative sur la construction industrialisée (ICI) de l’Université Laval, j’ai entamé mon projet de doctorat visant à caractériser les représentations sociales et les aspects psychologiques associés à la construction en bois massif et en ossature préfabriquée, afin de déterminer les leviers et les freins actuels à son utilisation dans la construction de logements multi-étagés.

Que sont les représentations sociales?

Les représentations sociales sont définies comme des systèmes d’opinions, de connaissances et de croyances propres à une culture, une catégorie ou un groupe social et relatifs à des objets de l’environnement social [4]. Elles permettent d’appréhender notre environnement qui est extrêmement complexe, en le simplifiant pour lui trouver une cohérence et une certaine stabilité. Elles guident ainsi nos interactions sociales, notamment la prise de décisions. 

Cette étude a été réalisée grâce à un questionnaire diffusé auprès de particuliers afin de caractériser leurs représentations de la construction en bois massif et de la préfabrication en ossature légère en comparaison à d’autres modes constructifs comme l’acier ou le béton. Plus précisément, les personnes interrogées ont été questionnées sur les thèmes de l’acceptabilité, la désirabilité et des préjugés liés aux matériaux de structure. Cette méthode permet aux personnes d’exprimer directement leurs points de vue et leurs opinions, qui ne sont ni observables, ni expérimentables.

La population ciblée était un échantillon représentatif aléatoire de la population québécoise, en fonction de différents critères, dont le genre, l’âge et la région habitée. Afin d’obtenir un niveau de confiance de 95 % et une marge d’erreur de 5 %, qui constitue une norme acceptable en sciences sociales, notre échantillon requérait 385 répondants.

L’étude a donc porté sur un panel de 400 répondants répartis selon les critères de représentativité établis, à savoir le genre, l’âge et la région de résidence. Ces répartitions, établies à partir des données de Statistiques Canada [5], sont proportionnellement très proches de la population mère, soit la population québécoise. Les répondants ont également été caractérisés selon le type de quartier, le type de logement, la hauteur du bâtiment habité, le type de structure du logement habité, la présence d’éléments en bois dans le logement, le statut d’occupation du logement (propriétaire ou locataire), la catégorie professionnelle, leurs liens avec le secteur de la construction et les appartenances culturelles. Ces données pourraient ainsi permettre de dégager des profils liés à l’expérience vécue.

Représentations associées aux principaux matériaux de structure

Concernant les principaux matériaux de structure, il apparaît que les répondants préfèreraient majoritairement habiter dans des bâtiments construits en bois massif (42,5 % des réponses), et ce, pour des raisons d’esthétisme, de qualité de construction et de confort thermique (cf. figures 1 et 2). Les bâtiments construits en béton, en deuxième position avec 29,6 % des réponses, sont appréciés pour le confort sonore, la durabilité et la sécurité qu’ils procurent. Quant aux bâtiments construits en ossature légère en bois, ils sont choisis pour des raisons qui n’étaient pas énoncées dans la liste d’arguments fournie, telles que le savoir-faire local et la capacité de transformation.

Ces résultats ont en partie été confirmés par d’autres questions qui visaient à classer les matériaux en fonction de ceux qui permettent le meilleur confort thermique et sonore. Ainsi, le bois massif est considéré comme permettant le meilleur confort thermique (53,8 %), suivi du béton (30,3 %). Pour l’acoustique, 63,6 % des répondants estiment que le béton permet un meilleur confort, suivi du bois massif (25,6 %).

L’esthétique du matériau, pour le bois massif, est d’autant plus un facteur de désirabilité que c’est le seul type de construction pour lequel les répondants ont majoritairement envie de laisser les éléments structurels au moins partiellement visibles (70 % des réponses, contre 16 % en moyenne pour tous les autres modes constructifs). Le bois massif est également perçu comme le matériau de structure le plus haut de gamme (37,3 %), suivi du béton (34,5 %), de l’acier (26,3 %) et de l’ossature légère en bois (2 %).

Figure 1 – Constructions dans lesquelles les répondants aimeraient le plus habiter Figure 2 – Raisons pour lesquelles les répondants aimeraient le plus habiter dans ces constructions

Les constructions dans lesquelles les répondants aimeraient le moins habiter sont les bâtiments construits en acier et en ossature légère en bois, à proportion égale (cf. figure 3). Les constructions en acier sont moins appréciées en raison du confort thermique, de l’esthétique du matériau et du confort sonore qu’elles proposent (cf. figure 4). Les constructions en ossature légère sont quant à elles moins aimées pour des raisons de solidité, de durabilité, de sécurité et de qualité de construction.

Enfin, l’esthétique du matériau, le confort thermique ainsi que le bilan environnemental et l’ambiance créée par le matériau (cités spontanément par les répondants) expliquent que les répondants ne souhaitent pas habiter dans des constructions en béton. Il est également important de noter que la construction en bois massif présente à la fois une très forte désirabilité et un faible rejet dans les représentations sociales (cf. figures 1 et 3), alors que le béton est autant apprécié que non apprécié.

Figure 3 – Constructions dans lesquelles les répondants aimeraient le moins habiter Figure 4 – Raisons pour lesquelles les répondants aimeraient le moins habiter dans ces constructions

Concernant la durée de vie perçue des principaux matériaux de construction, il est intéressant de noter que 53,6 % des répondants estiment que la durée de vie d’un bâtiment tous modes constructifs confondus est de 80 ans et plus, alors que la durée de vie moyenne d’un bâtiment est généralement estimée entre 50 et 60 ans.  Mais si la majorité des répondants estiment que la durée de vie d’un bâtiment construit en acier, en béton ou en bois massif est de 60 ans minimum, 39,7 % pensent que celle d’un bâtiment en ossature légère en bois est de 40 ans ou moins.

Nous pouvons en déduire que les répondants ont une représentation de la durée de vie bien supérieure à la réalité, mais que pour la construction en ossature légère, ils sont nombreux à sous-estimer cette durée de vie. Cela traduit donc l’importance de l’écart perçu entre ces différents modes constructifs.

Représentations associées à la construction en bois massif

En ce qui concerne les représentations de la construction en bois massif, les résultats indiquent que 30,9 % des répondants pensent que très souvent une structure en bois massif vieillit mal tandis que seulement 26,1 % pensent le contraire. En revanche, il existe une bonne confiance envers la capacité structurale de ce matériau, car moins de 20 % des Québécois pensent que le bois se déforme avec le temps ou que c’est un mode constructif moins résistant que d’autres.

La construction en bois massif est perçue comme coûteuse. En effet, 60,9 % des Québécois pensent que la construction multi-étagée en bois massif coûte plus cher qu’un équivalent en béton, qu’une structure en bois nécessite plus d’entretien (53,6 %) et que les primes d’assurance habitation pour les bâtiments à structure en bois sont plus élevées (39,7 %).

Au sujet de l’impact environnemental du bois massif, 52,5 % des répondants pensent que l’usage du bois dans la construction cause de la déforestation (cf. figure 5). Le bois massif est toutefois considéré comme le matériau de structure le plus respectueux de l’environnement pour la construction de logements multi-étagés (29,5 %), suivi du bois de dimension (24,8 %), de l’acier (24,5 %) et du béton (21,3 %). Ainsi, une portion non négligeable de la population (45,8 %) estime que l’acier et le béton représentent de meilleures alternatives (cf. figure 6).

Figure 5 – L’usage du bois dans la construction cause de la déforestation Figure 6 – Classement des matériaux de
structure évalués comme les plus
respectueux de l’environnement pour la construction multi-étagée

Quant à son usage dans la construction en hauteur, 64,5 % des répondants estiment que le bois massif est adapté pour construire des logements multi-étagés de 4 étages et moins, contre 31,8 % pour les bâtiments de 5 et 6 étages, 13,2 % pour les bâtiments de 7 à 12 étages et 7,7 % pour les bâtiments de plus de 12 étages. Ces résultats indiquent donc que dans les représentations des Québécois, le bois massif est peu adapté à la construction en hauteur, et ce, malgré la désirabilité et la confiance structurale énoncées précédemment.

Représentations associées à la construction préfabriquée en ossature légère en bois

Enfin, en ce qui concerne la perception de la préfabrication en ossature légère en bois, nous avons interrogé les répondants sur différentes thématiques, dont la fabrication en usine, la standardisation, la personnalisation de masse, la qualité, la maîtrise des coûts, la réglementation et la résistance structurale. Les résultats indiquent que les aspects généraux et les avantages de la préfabrication sont relativement bien connus par la population québécoise. Les bénéfices de cette technique constructive, tels que la réduction de la durée de construction sur site, la réduction des nuisances liées au chantier, la réduction des coûts, la réduction des déchets de construction et l’augmentation de la sécurité des travailleurs, sont bien connus des répondants.

Dans la littérature, nous avons constaté que par le passé, la préfabrication a souvent été associée à des constructions temporaires [6]. Selon la présente étude, il semblerait que cette représentation s’estompe avec seulement 20,4 % des répondants qui estiment que la construction préfabriquée est synonyme de constructions temporaires. En conséquence, la durée de vie estimée d’un bâtiment préfabriqué en ossature légère en bois est quasi-identique à la construction en ossature en bois sur site (cf. figure 7). Cela confirme donc que cette technique n’est plus associée à des constructions de courte durée de vie.

FIGURE 7

Figure 7 – Comparaison de la durée de vie perçue d’un bâtiment préfabriqué
à un bâtiment construit sur site en ossature légère en bois

Nous avions aussi identifié dans la littérature, des enjeux concernant la liberté et les possibilités de conception dans la construction préfabriquée [6]. Nos résultats indiquent que 33,9 % des Québécois pensent que les possibilités de design (esthétique, forme, etc.) sont plus limitées que dans le cas de la construction sur site.

Toutefois, 43,5 % s’accordent à dire qu’une fois construit, il est impossible de voir la différence entre un bâtiment préfabriqué et un bâtiment construit sur site.

Quant à l’usage de l’ossature légère en bois dans la construction en hauteur, seulement 27,8 % des répondants estiment qu’il est possible de construire des bâtiments de 5 et 6 étages, contre 31,5 % pour les bâtiments en bois massif. Ces résultats indiquent que les constructions de moyennes et grandes hauteurs ne font pas encore partie des représentations sociales associées à la construction en bois.

En termes de qualité de construction, 37,6 % des répondants pensent qu’une construction préfabriquée et une construction sur site offrent une qualité équivalente (cf. figure 8). Ils sont tout de même 33,6 % à estimer qu’une construction sur site est de meilleure qualité. Bien que la préfabrication soit synonyme de qualité, il semble que la construction sur site ait une image plus positive, particulièrement lorsque ces deux méthodes constructives sont comparées.

FIGURE 8

Figure 8 – Type de construction offrant la meilleure qualité

Finalement, nous avons également observé que l’expérience vécue en lien avec le logement, tel que le type de structure du logement occupé, peut conditionner une partie des répondants. Ainsi, comme l’ossature légère est très présente dans le parc immobilier, il est possible que les réponses obtenues soient plus critiques à son égard vis-à-vis d’autres matériaux moins présents.

Tout en améliorant notre compréhension des phénomènes de psychologie sociale existants au sujet des constructions industrialisées en bois, cette étude nous permet d’identifier des leviers et des freins sur lesquels travailler pour modifier les représentations des Québécois au sujet de la construction multi-étagée en bois. Comme nous l’avons vu précédemment, le bois est l’une des solutions promues par l’industrie pour atteindre les objectifs de généralisation des bâtiments à faible empreinte carbone. Or, une partie non négligeable des Québécois a encore une perception négative concernant, par exemple, les impacts environnementaux de l’exploitation forestière et la construction en hauteur.

Ainsi, les résultats de cette étude suggèrent qu’il existe des points importants sur lesquels les stratégies marketing et de transfert de connaissances devront se concentrer afin de pouvoir lever plus efficacement les freins psychologiques associés à la construction industrialisée en bois, en fournissant un argumentaire pertinent quant aux préoccupations des usagers. Cela permettra de favoriser l’acceptation et l’adoption de ces modes constructifs par les marchés et ainsi valoriser le bois comme solution pour répondre aux enjeux multiples auxquels l’industrie de la construction doit faire face.


[1] Beaulieu, Gérald, Audrey Latulippe, et Emilie Dessureault. 2017. « Cecobois célèbre ses 10 ans », Automne 2017, Construire en bois édition.

[2] Robichaud, François. 2019. « Étude de marché sur l’utilisation du bois dans la construction non résidentielle et multifamiliale au Québec ». 2.1. Cecobois.

[3] Régie du bâtiment du Québec. 2015. Directives et guide explicatif pour la construction massive en bois d’au plus 12 étages. https://www.rbq.gouv.qc.ca/fileadmin/medias/pdf/Publications/francais/guide-construction-massive-bois-plus-12-etages.pdf.

[4] Weiss, Karine, et Patrick Rateau. 2018. Psychologie sociale et environnementale : 11 fiches pour comprendre. In Press.

[5] Statistiques Canada. 2020a. « Estimations de la population au 1er juillet, par âge et sexe, Tableau : 17-10-0005-01 ». DOI: https://doi.org/10.25318/1710000501-fra.

Statistiques Canada. 2020b. « Estimations démographiques annuelles : régions infraprovinciales, tableaux : 17-10-0135-01 à 17-10-0142-01 ». https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/91-214-x/91-214-x2021001-fra.htm.

[6] Smith, Ryan E. 2010. Prefab Architecture: A Guide to Modular Design and Construction.

Collaboration spéciale de la Chaire industrielle de recherche sur la construction écoresponsable en bois (CIRCERB) de l’Université Laval.

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Baptiste Giorgio

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